Maisons à colombages

Notre héritage : les maisons à colombages

Les maisons alsaciennes ont traversé les siècles, vaincu les intempéries, triomphé des guerres et pourtant des centaines de maisons à colombages disparaissent régulièrement en Alsace. Ces maisons sont souvent transmises de génération en génération. Les raisons de leur extinction sont multiples : importants travaux de restauration à envisager, manque d’intérêt pour le colombage…
Tous ces bâtiments typiques de l’Alsace font partie de notre patrimoine et il faut saluer le courage et l’entrepreneuriat de ces personnes qui militent pour leur sauvegarde en les préservant, afin de maintenir les traditions et de permettre aux jeunes générations de profiter de cet héritage. Rappelons à cet égard également la réhabilitation d’anciens corps de ferme de la rue du Général Leclerc qui ont été transformés en appartements. D’ailleurs, la volonté du Conseil Municipal a été d’assurer la protection de ces bâtiments en les intégrant à la révision du PLU.
C’est pour cette raison qu’il m’a paru important de nous intéresser de plus près à une réalisation récente dans le village. Raphaël et Yann KELVINK (deux frères) ont racheté pour la rénover une maison alsacienne inhabitée depuis longtemps rue du Général Leclerc. Ils ont immédiatement accepté mon invitation et c’est Raphaël, accompagné de sa compagne et de son père Peter, qui m’a reçue.
 
Caroline : Qui êtes-vous et d’où venez-vous ?
Rapha l : Nous sommes originaires de STEIGE, près de Villé. Mon frère et moi avons acheté cette maison en 2012. Notre père est un artiste peintre restaurateur. Il nous a transmis depuis notre plus jeune enfance sa passion de l’ancien et de la restauration. Mon frère Yann en a d’ailleurs fait sa profession : il est entrepreneur, travaille avec sa compagne et tous deux restaurent d’anciens bâtiments.
En ce moment, il est très pris et n’a pas pu assister à notre entrevue parce qu’il construit une maison alsacienne typique pour un client et les matériaux utilisés proviennent de trois maisons laissées à l’abandon. Il est gratifiant de redonner vie ainsi !

Caroline : D’où vous vient votre passion de l’ancien, et en particulier des maisons à colombages ? Pourquoi cela a t’il de l’importance à vos yeux ?
(aussitôt, le père qui est un passionné d’histoire se lance dans des explications fougueuses : il est intarissable sur le sujet !)
Peter (le père) : Je suis dans cette aventure depuis 1983, cela m’est apparu comme une violence et depuis je me bats pour la sauvegarde d’anciens bâtiments et leur rénovation. Je préfère soigner l’existant plutôt que de créer du neuf. J’aime la précision et la qualité. La restauration me permet de rentrer profondément dans l’Histoire. C’est une passion que j’ai transmise à mes fils, dont l’un qui en a fait son métier et qui exerce à STEIGE (Yann Kelvink Eco Construction). Une passion pour l’histoire, pour les techniques de construction de nos ancêtres… De mon côté , j’ai restauré plusieurs sites et fresques (les choeurs des églises de Printzheim et d’Avolsheim, l’Ecomusée d’Alsace, la Maison Rurale de l’Outre-For t /Musée de Kutzenhausen, la Maison Suisse à Wimmenau, une maison alsacienne à Obernai, etc.).

Caroline : Qu’avez-vous découvert après avoir acheté cette maison ? Avez-vous eu de bonnes et/ou mauvaises surprises ?
Rapha l : Nous avons découvert deux "stub". Cette maison a probablement été construite par des personnes plutôt aisées. On peut le voir par la taille de la grande "stub" avec sa hauteur de plafond ainsi que par la richesse du colombage.
Lorsque nous avons démoli les enduits intérieurs, nous avons été agréablement surpris en remarquant des poutres courbées avec crête de coq qui sont à présent visibles sur la façade : ces poutres courbées indiquent la personnalisation par les propriétaires qui ont voulu donner à leur maison une identité.
En grattant la fa ade extérieure, nous avons pu déchiffrer et restaurer le cartouche de la maison et nous pouvons en déduire que les propriétaires à l’origine étaient Madame Anna-Maria et Monsieur Hans LAUGEL et que la maison date de 1766. Nous pouvons supposer qu’il s’agissait d’un relais à l’époque en raison des sigles en forme de cercles figurant en haut et en bas du cartouche et que le bâtiment est de l’époque de la Renaissance.

Caroline : Quelles ont été les difficultés rencontrées lors du lancement de votre projet ? Quelles ont été les contraintes à respecter ?
Rapha l : Les poutres et moulures côté route avaient été coupées à la hache à un moment donné, afin de favoriser la prise d’un revêtement tel qu’il existait lorsque nous avons acheté la maison. Mon frère Yann a reproduit ces moulures et poutres à l’identique en prenant pour modèle les moulures encore existantes côté cour, ce qui aboutit au résultat actuel qui doit se rapprocher du bâtiment tel qu’il avait été bâti par ses propriétaires à l’origine.
Au niveau des encadrements de fenêtres, le cadre a été conservé et seules les tablettes ont été refaites sur mesure par mon frère avec du chêne massif. S’agissant d’une très ancienne bâtisse, il y a aussi eu d’importants travaux à l’intérieur du fait que les plafonds n’étaient pas d’équerre. De nombreuses poutres ont été coupées et remises à niveau. Vous constatez qu’il y a deux portes d’entrée. L’entrée de gauche est d’origine et celle de droite a été crée pour permettre l’entrée au 2e logement. Les deux portes sont faites en atelier à Steige par Yann, en suivant un motif alsacien du XVIe-XVIIe siècle.

Caroline : Quels mat riaux avez-vous utilisé pour la façade extérieure ?
Rapha l : Nous utilisons essentiellement des produits naturels. Les couleurs que vous voyez sur les murs sont des fabrications artisanales réalisées sur place.
Pour le jaune qui se retrouve en grande partie sur la façade, nous avons pris de l’ocre jaune du Roussillon qui est un colorant inaltérable et non toxique. Vous utilisez 10% de pigment avec un mélange de chaux (parce que la chaux est un liant). Pour les poutres, il a fallu recréer la couleur originelle qui est du brun/rouge et pour cela, il s’agit de faire une préparation à base d’huile de lin, d’un peu d’alcool et de 10% de pigment d’ocre rouge du Roussillon.
Pour obtenir le résultat final, il ne faut pas moins que sept couches de peinture !
Peter KELVINK, toujours aussi enthousiaste, reprend la parole, pour ajouter quelques détails importants…

Peter (le père) : Je précise que la chaux utilisée pour l’enduit extérieur provient de la région de Bâle et que sa pureté avoisine les 98%. La couleur brun/rouge des poutres est une mode qui émane directement de la région de Kaysersberg.
Il ne faut pas oublier les détails et notamment les liserés noirs que vous pouvez observer qui sont réalisés à base de caséine. Il s’agit de faire un mélange de chaux et de fromage blanc à 0% et cela se transforme en colle que l’on ajoute à des pigments noirs purs. Monia, la compagne de mon fils Yann, est une spécialiste en la matière et c’est à elle que revient notamment ce genre de travaux de précision.

Caroline : Je trouve que le toit est magnifique. Pouvez-vous m’en dire davantage ?
Rapha l : Toutes les tuiles ont effectivement été changées. Nous avons rénové la toiture avec des tuiles récupérés sur trois/quatre maisons. Par contre, les tuiles de faîtage sont difficilement récupérables et sont donc neuves. Elles ont été façonnées à la main par l’entreprise Lanter de Hochfelden qui est spécialisée dans la confection de produits en terre cuite destinés entre autres aux monuments classés.

Caroline : Les terrasses sont superbes et très fonctionnelles…
Rapha l : Elles sont nouvelles et réalisées avec des poutres d’anciennes maisons. Le séjour au RDC ainsi qu’une chambre du 1er étage possèdent une terrasse couverte, cette extension intègre aussi la chaufferie.

Caroline : Parlez-moi des travaux réalisés à l’intérieur ?
Rapha l : Le torchis existant sur les façades à l’intérieur a été réparé avec du torchis comme à l’origine. Là aussi, tout est fabriqué sur place à base d’enduit de chaux, de sable tamisé et de fromage blanc 0%.
Les cloisons int rieures quant à elles sont faites avec des panneaux isolants de laine de bois. Les anciens planchers ont été démontés, sablés, puis réutilisés pour réaliser les plafonds sous forme apparente. Le sol est en pierre naturelle. C’est du Travertin de Turquie extrait de la roche qui se décline et se pose en quatre tailles.
Toutes les fenêtres ont été fabriquées par mon frère dans son atelier à STEIGE. Elles sont faites en pin, le vitrage est standard BBC (4/16/4).
Les logements seront tout de même dotés de tout l’équipement moderne s’agissant des systèmes de communication, de la téléphonie, de la TV !

Caroline : Parlez-moi un peu de la performance énergétique…
Rapha l : Nous avons réalisé un bâtiment pouvant faire valoir la qualification BBC (bâtiment à basse consommation) en réalisant une ossature bois intérieure avec de la laine de bois. Nous avons installé une pompe à chaleur eau/eau sur nappe phréatique. Nous avons
deux logements de 100 et 80 m2. D’après mes estimations, mais il faudra vérifier le moment venu lorsque les deux logements seront
achevés, nous devrions avoisiner les 350 €/an de chauffage pour les deux logements.

Caroline : Existe-t’il des subventions pour ce genre de rénovation ?
Rapha l : Pas plus que pour une rénovation d’un bâtiment quelconque. Il arrive que ce genre de rénovation obtienne une distinction, mais là n’est pas le sujet et il trop tôt pour en parler.

Caroline : Quels sont les travaux restant à réaliser à ce jour ? Quand pensez-vous que la maison sera habitable ?
Rapha l : Le logement de 100 m2 est en bonne voie d’achèvement. Nous espérons que la totalité des travaux sera achevée d’ici fin 2018. Mon frère a des impératifs chez des clients et il est normal qu’il doive y consacrer du temps. Notre projet étant un projet personnel, il arrive naturellement en seconde position.

Caroline : Je vous remercie sincèrement pour le temps que vous m’avez consacré et vous félicite pour le résultat obtenu et votre engagement pour la conservation de notre patrimoine, plus particulièrement celui de notre commune en ayant rénové et réhabilité une maison sur l’axe principal de Mommenheim.